08/05/2021
Mémoires - Souvenirs - Devoir de Mémoire
Documents Familiaux
Mon père avait tout juste vingt ans quand il a dû rédiger et signer cette déclaration sur l'honneur attestant que ni lui, ni aucun des membres de sa famille ni aucun des membres de sa descendance , que ce soit du côté paternel ou du côté maternel, n'était d'origine juive.
C'était demandé par le régime de Vichy
La loi du 3 octobre 1940 « portant statut des Juifs »*
appelée par les historiens « premier statut des Juifs », est un acte édicté par le régime de Vichy par lequel celui-ci donne une définition, à son sens légale, à l'expression « de race juive » qui sera employée durant l'Occupation pour la mise en œuvre dans le cadre de la Révolution nationale d'une politique corporatiste et « raciale » antisémite. Elle précise les professions désormais interdites aux personnes répondant aux critères édictés.
Numérotée 28, elle précède d'un jour la « loi relative aux ressortissants étrangers de race juive » qui autorise et organise l'internement des Juifs étrangers et marque le début de la politique de collaboration du régime de Vichy à l'extermination des Juifs d'Europe. Ces deux « lois » sont parues simultanément au Journal officiel deux semaines plus tard, le 18 octobre 1940.
« Loi » d'exception qui sera remplacée le 14 juin 1941 par le second statut des Juifs, elle usurpe le nom de loi en dépit des positions du Conseil d'État resté en place, le Parlement n'étant plus en fonction depuis le 11 juillet 1940.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_portant_statut_des_Juifs
J'avais tout juste quinze quand j'ai escaladé les grilles du lycée pour participer à une manifestation .
Lorsque je suis rentrée chez moi, il m'a fallu faire signer le motif de l’absence aux cours que j'avais "séchés"!
Je m'attendais à un sermon
et
à ma grande surprise
il en fut tout autrement.
Un moment que je n'ai jamais oublié
Le regard de mon père s'est figé dans le lointain, comme plongé dans des souvenirs dont je ne pouvais soupçonner l'existence car toujours de silence ils sont restés durant sa vie, blottis dans son cœur mais vivant et vivace en son esprit.
Après un temps de silence, il a signé mon carnet et la justification d’absence que j'avais noté et m'a simplement dit: "Méfie toi, méfie toi des mouvements de masse!"
son ton doux et douloureux à la fois m'a profondément marqué.
Cette période de guerre n'a été que peu évoquée au sein de la famille. Parfois, lors d'un repas, des anecdotes, des souvenirs, l'évocation des sirènes, de la fuite en zone libre de ma grand-mère maternelle avec ses deux filles , nous écoutions avec grand intérêt et émotion ces petites histoires imbriquées dans une autre histoire, celle de la guerre.
Il y avait comme une grande pudeur à ne pas tout dire, c'est du moins ce que j’ai ressenti.
Ce n'est qu'au décès de mes parents que nous avons découvert ces documents, soigneusement rangés dans une petite valise et classés dans des pochettes.
Pour se remémorer et ne pas oublier, il faut que la mémoire soit nourrie, qu'elle soit abreuvée par les souvenirs, la connaissance, la culture, les rencontres, qu'elle soit éclairée par la réflexion, qu'elle ne soit pas mémoire du passé mais mémoire active du présent.
Dans cette période où tout et son contraire se dit, se déforme, pollue notre capacité à réfléchir.
Que penser, comment exprimer une pensée, une idée, une suggestion sans se faire incendier?
Comment encore penser aujourd'hui, de façon objective, éclairée?
Bien souvent je me demande à quoi sert notre mémoire et surtout ce qu'on en fait puisque
,toujours et toujours, les conflits , les guerres éclatent,
toujours et encore les poètes écrivent et inscrivent cette mémoire
toujours et encore détruire et reconstruire, faisant table rase des erreurs du passé
à quand la métamorphose...
Je vous propose quelques citations et réflexions d'auteurs , poètes, philosophes qui , personnellement m'inspirent et me font réfléchir , ou tout au moins m'aide à cheminer dans cette période particulièrement bouleversée.
G. Orwell dans une lettre du 5 décembre 1946. « La Ferme des animaux »
«Je voulais montrer que cette sorte de révolution - une révolution violente comme une conspiration par des gens qui n’ont pas conscience d’être ivres de pouvoir – ne peut conduire qu’à un changement de maîtres. La morale selon moi est que les révolutions ne sont une amélioration radicale que si les masses sont vigilantes et savent virer leurs chefs dès que ceux-ci ont fait leur boulot »*
Hannah Arendt entretien publié dans le New Yorker en 1970.
« le plus radical des révolutionnaires deviendra un conservateur le jour d’après la révolution…
Les révolutionnaires sont ceux qui savent quand le pouvoir est à terre et quand il faut le ramasser. »*
« Qu’est-ce que l’improbable ?
C’est ce qui n’est pas impossible, mais peut advenir de façon inattendue. » Edgar Morin
« Si tu ne cherches pas l’inespéré , tu ne le trouveras pas. » Héraclite.
Mahmoud Darwich - une mémoire pour l’oubli.
« Je veux inventer
Les mots qui feront de la langue l’acier de l’esprit.
Je veux chanter, inventer la langue qui me portera et que je porterai, qui témoignera et me prendra à témoin de cette force, en nous, capable de surmonter la solitude universelle. »
« La réalité, tant qu’elle n’est pas consignée, n’est pas tout à fait réalité »
Dialogues d’exilés de Brecht.
« Kalle : Quand on parle tant de liberté, c’est louche. Une chose m’a frappé : la phrase « chez nous, tout le monde est libre » revient chaque fois que quelqu’un se plaint d’un manque de liberté. On lui lance tout de suite : « chez nous, règne la liberté d’opinion. Chacun peut avoir les convictions qu’il lui plaît. ». C’est exact, mais au fond c’est comme partout. La seule chose interdite, c’est de manifester ses convictions. Ça, c’est un délit. »
Edgar Morin - penser global
« La voie nouvelle ou métamorphose
Je pense que le mot métamorphose est plus riche que le mot révolution . Le mot révolution dans son sens général, a été beaucoup galvaudé. Cependant il est sain qu’il y ait encore des révolutions dans différentes nations. Selon moi, la grande révolution, « du passé faisons table rase », a montré son échec dans l’Union soviétique ou en Chine. Elle a montré que sa violence engendrait une nouvelle violence. La métamorphose signifie qu’il n’y a pas rupture totale avec le passé : on utilise au contraire l’acquis culturel de l’histoire passée de l’humanité.
C’est le processus de transformation que nous connaissons très bien chez la chenille qui ; s’enfermant dans sa chrysalide, commence à s’autodétruire en tant que chenille, y compris en détruisant son système digestif, pour s’autoconstruire avec des ailes en tant que papillon. La chenille est devenue autre, à partir d’elle-même. »
« Il faut donc se demander ce que l’on gagne et ce que l’on perd dans ce qu’on appelle un progrès […] Nos progrès matériels provoquent la régression des convivialités, des relations humaines. »
« À la liberté, l’homme industriel préfère désormais confort et sécurité, une aliénation de masse bien plus efficace que toutes les dictatures. »* Stéphane Leménorel - Poète et philosophe .
Sources et références d'ouvrages, à lire ou à découvrir:
Théâtre
https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Dialogues-d-exiles/ensavoirplus/
Roman
Ouvrage - études
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